2016 04 20 Le Courrier de Russie: «Léningrad, c’est un de mes plus proches parents»

«Nous chantions en russe les vers d’un poète français au pied de la cathédrale parisienne. Ça a été un moment merveilleux!»

Alors que sur scène, la musicienne Svetlana Sourganova emplit tout l’espace de son énergie foudroyante, on est surpris de la trouver si frêle en réalité, dans le gros fauteuil de cuir d’un bar de la périphérie de Saint-Pétersbourg. À 47 ans, sa silhouette est toujours aussi gracile. Sourganova a l’air d’un oiseau qui se serait posé quelques instants sur une branche avant de repartir vers les cieux. En nous voyant arriver, la chanteuse met de côté son assiette de saumon grillé et, malgré nos protestations, n’y touche pas pendant les 90 minutes d’interview qui s’ensuivent. Elle répond à nos questions simplement et sans détours, avec une franchise déconcertante, alors que ses attachés de presse nous bombardent de messages nous suppliant de « ne pas parler politique ». « C’est trop tard », sourit-elle. Avant un concert parisien prévu le 24 mai au Bizz’Art, la chanteuse revient sur ses récitations de Paul Éluard sur le parvis de Notre-Dame, sa rencontre déterminante avec un cheval sur l’avenue Souvorovski et son enfance dans un appartement communautaire de Léningrad.

Le Courrier de Russie : Comment se fait-il que vous donniez un concert à Paris ?

Svetlana Sourganova : Ça a été une nouvelle inattendue et une agréable surprise pour moi la première. Quelqu’un de la communauté russophone de France a vu notre émission Jeu aux classiques, dans laquelle nous interprétons nos hits rock avec des instruments classiques – violon, violoncelle, alto et contrebasse –, et nous a contactés pour nous proposer d’organiser un concert de ce type à Paris. Et ce concert va avoir lieu ; simplement, pour le premier, nous jouerons en acoustique : à deux guitares et deux voix. Je serai accompagnée par Valeri Tkhaï, qui est pour moi comme un parent en termes d’esprit, d’énergie, de sens du tact et du rythme – il n’y a personne de qui je me sente plus proche dans la musique, nous collaborons depuis plus de 20 ans. Il me sent à un niveau très subtil, et je lui en suis extrêmement reconnaissante. C’est une interaction mystique, comme du sexe tantrique, qui, je l’espère, se transmet aussi au public. Il y a quelques jours, nous avons donné un concert à Saint-Pétersbourg, au Palais de la culture du Lensoviet : nos deux guitares ont fait se lever une salle de 2 000 personnes. Trouvez-moi une autre bonne femme plus toute jeune – j’aurai bientôt 50 ans – capable d’une chose pareille. À part Zemfira, peut-être. Mais elle ne fait pas dans le même genre que moi, elle ne joue pas en duo avec un musicien. Mais au secours, je suis en train de faire mon propre éloge : le cauchemar ! C’est le boulot des critiques !

« Paris palpitait à l’intérieur de moi »

LCDR : Avez-vous déjà été en France ?

S.S. : Jamais en concert. Comme touriste, j’y suis allée la première fois en 2005, au moment de ma convalescence après mon opération [du cancer du colon]. Des amis de Riga avaient décidé de me balader en voiture à travers l’Europe : nous sommes passés par l’Italie, la France… Et à ce moment-là, Paris palpitait à l’intérieur de moi, j’attendais ça avec impatience.

LCDR : Qu’avez-vous retenu de ce premier voyage ?

S.S. : La cathédrale Notre-Dame de Paris, évidemment. J’ai été tellement impressionnée en la voyant que j’ai eu envie de chanter. Je me suis souvenue d’une chanson d’Alexandre Gradski sur un texte de Paul Éluard, et avec mon amie, Sveta Ivannikova, nous nous sommes mises à chanter à deux voix, sur tout le parvis : « Aimée, pour incarner mes souhaits, enflamme tes mots, ta bouche, comme une étoile ! » Les Français nous regardaient étonnés, évidemment, et nous, nous chantions en russe les vers d’un poète français au pied de la cathédrale parisienne. Ça a été un moment merveilleux !LCDR : Et depuis, vous n’y êtes pas retournée ?

S.S. : À Paris, non – l’occasion ne s’est pas représentée. Mais je suis allée à Chamonix, à Courchevel. Je vais dans les Alpes pour des raisons de santé, pour en contempler les beautés : j’aime énormément la montagne.

« Je ne comprends rien à la politique »

LCDR : Vous prévoyez également de vous produire en Crimée. Assez peu d’artistes sont aujourd’hui prêts à s’y rendre, certains trouvent inadmissible de donner des concerts sur un territoire, disons, contesté…

S.S. : Je ne comprends rien à la politique, je vis dans mon monde merveilleux, donc les questions d’État et de politique ne me touchent pas. Mais je ne comprends absolument pas comment la politique peut gêner l’art, comment on peut, par exemple, ne pas faire venir Rembrandt dans tel ou tel pays, ne pas le montrer. Je ne vais pas sur un territoire, je vais voir les gens qui s’y trouvent, parce qu’ils y habitent. L’important, pour moi, c’est que les gens aient l’électricité, le gaz et l’eau, et qu’ils soient protégés socialement, qu’ils aient du travail. Mais savoir de qui ça vient, de l’État ukrainien ou de l’État russe, ce n’est pas si important. Je suis touchée par le fait que ces gens parlent russe. Ce sont mes concitoyens, des frères de mentalité. Je ressens avec eux une parenté linguistique.

LCDR : Vous sentez que les habitants de Crimée ne vous sont pas étrangers ?

S.S. : Nous parlons la même langue ! Comment pourrions-nous être étrangers ? Certes, vous pouvez avoir des frères et sœurs qui vivent dans le même appartement mais demeurent des étrangers. La parenté du sang n’est pas toujours un indicateur. Mais la langue : c’est une garantie d’une certaine proximité mentale.

« À Kiev, tous nos concerts ont été des fêtes »

LCDR : Mais en Ukraine aussi, beaucoup de gens parlent russe.

S.S. : Oui, et quand l’Ukraine faisait partie de l’Union soviétique, puis de la CEI, je m’en réjouissais. Je n’aime pas quand les gens se disputent et se détachent. Bien sûr, il faut parfois se séparer, on peut avoir des raisons objectives à cela. Mais il faut se séparer de façon éclairée, avec des avantages mutuels et, surtout, en préservant le sentiment de dignité de son partenaire.

À Kiev, tous nos concerts ont été une fête – on savait à l’avance qu’il y aurait une féerie émotionnelle dans la salle. Les gens là-bas sont très ouverts, très énergiques, pleins d’émotions, ils n’ont pas peur de montrer leurs sentiments. En comparaison, les habitants de Saint-Pétersbourg sont un peu introvertis, il faut faire pas mal d’efforts pour les « secouer ». Le public pétersbourgeois est probablement le plus exigeant.

LCDR : Quelles impressions conservez-vous de la Crimée ?

S.S. : J’étais enfant la dernière fois que j’y suis allée. Nous avons vécu à Balaklava et Sébastopol : 3, rue Yasnaïa, je m’en souviens. C’était une maison privée avec des griottes, des cerises et tout un tas de poules dans la cour. À côté, il y avait un petit étang, où j’allais pêcher. J’avais six ans et, à l’époque, je ne savais pas qu’il fallait des appâts pour pêcher. Je prenais un bâton, j’y accrochais un fil avec un crochet au bout – et c’était ma canne à pêche. Mais vous savez quoi ? Le poisson mordait quand même. Je garde de la Crimée mes plus agréables souvenirs d’enfance. Mais quand le partage du territoire a commencé, j’ai été vraiment désolée, évidemment.

« Il y avait beaucoup de choses positives en Union soviétique »

LCDR : Pourquoi ?

S.S. : Je suis une enfant de l’Union soviétique, ce pays m’a élevée, il a élevé mes parents. Et je ne suis pas la pire représentante de cette période. Aujourd’hui, quand j’entends parler des aspects négatifs de la vie à l’époque soviétique, ça me fait mal et c’est désagréable. Peut-être – sans doute – que je vivais dans un monde idéalisé, créé pour moi par ma grand-mère et ma mère. Mais réellement, dans ce passé soviétique, il y avait quantité de choses positives pour moi et ma famille – l’esprit même du temps était très différent. Aujourd’hui, on ne trouve plus cet enthousiasme, ce rapport lumineux à la vie, cette naïveté gentille, cette capacité à l’émerveillement. Aujourd’hui, dans la course au bénéfice et au résultat rapide, nous perdons la fiabilité et le professionnalisme. Même dans la musique : on a peu de belles chansons, beaucoup de jetable. Qui se souvient des morceaux de l’Eurovision ? C’est probablement un des symptômes de notre époque…

LCDR : Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement, chez les représentants de la période soviétique ?

S.S. : Leur bonté, leur ouverture, un désir sincère d’aider. Je ressens de la douleur, aujourd’hui, quand je vois tout ce que nous avons perdu avec cette période et que nous ne retrouverons probablement plus jamais. Il y a beaucoup de cupidité aujourd’hui ; à l’époque soviétique, les gens étaient moins cupides, plus désintéressés, ils connaissaient la valeur de l’échange vivant.

« Je crée mon monde »

LCDR : C’est difficile de parler de l’Union soviétique. Les Français, par exemple, sont convaincus que l’URSS incarnait l’absence de liberté sous toutes ses formes. Aviez-vous le sentiment d’être libre ?

S.S. : Peut-être est-ce lié à ma compréhension naïve de la vie, du monde et du pays, mais il me semble que si une personne met son âme dans ce qu’elle fait, qu’elle l’accomplit avec honnêteté et sait trouver une langue commune avec les autres, alors elle est dotée de liberté, et elle est protégée.

Les relations entre les gens sont différentes aujourd’hui, nous nous sommes enfermés chacun dans nos mondes respectifs. À l’époque soviétique, il y avait des chanteurs et des écrivains aimés de tous. Aujourd’hui, la société est déchirée, fragmentée, chacun s’enferme dans sa petite coquille. Nous perdons la langue commune.

LCDR : Comment vous sentez-vous, dans la réalité actuelle ?

S.S. : Je crée mon monde. Je préfère l’échange vivant à Internet, ce qui fait que ma maison est toujours pleine d’amis. Les gens viennent me voir de Moscou, d’Ukraine, de partout. Quand j’étais enfant, notre maison était aussi toujours pleine d’invités. Ma maman et ma grand-mère, qui m’ont élevée, accueillaient toujours avec plaisir mes copains d’école. Et aujourd’hui encore, j’organise ma vie de façon à ne pas m’isoler sur un clavier d’ordinateur.

LCDR : C’est-à-dire que vous essayez de réduire au minimum vos communications par Internet ?

S.S. : Je n’y suis presque jamais, je n’ai pas de compte sur les réseaux sociaux. Je préfère trouver le temps de lire un vrai livre, d’aller à un concert. Je n’aime pas les conversations téléphoniques, sauf pour des choses vraiment urgentes. Certaines personnes peuvent passer des heures au téléphone, c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre ! Si deux âmes sœurs se retrouvent éloignées, à la limite, séparées par une grande distance, là, je peux peut-être comprendre. Mais des gens qui vivent à deux rues d’écart et se racontent leur vie par téléphone, ça non, je ne le comprends pas.

« Joe Dassin, c’est un vinyle de l’enfance usé jusqu’à la corde »

LCDR : Quelle Russie voyez-vous, depuis la scène ?

S.S. : Notre pays est extrêmement divers. Chaque ville ou région a son tempérament. Prenez Tcheliabinsk, par exemple, où nous avons donné un concert récemment. Nous avons été formidablement accueillis, la salle a explosé dès la toute première chanson. Ça a été un retour tellement puissant ! La façon dont nous nous comprenons, avec cette ville, s’améliore d’année en année, comme un bon cognac. C’est un public extrêmement fidèle – s’il t’aime, c’est puissamment et pour toujours.

La Sibérie, c’est un lieu à part. À Omsk, nous avons fait la connaissance d’Elena Nourieva, dont j’aime beaucoup interpréter la chanson sur Jeanne d’Arc. Nous la chanterons absolument lors de notre concert à Paris ! Nous avons aussi une chanson sur un texte de Béranger. Il y a tellement de choses qui nous lient à la France ! Et puis Joe Dassin… Joe Dassin, c’est un vinyle de l’enfance usé jusqu’à la corde. Et Paul Mauriat, et Saint-Exupéry…

LCDR : Quand nous parlons à nos collègues français des chansons de Joe Dassin, ce sont pour eux des « trucs de vieux », des airs qu’écoutaient leurs grands-parents…

S.S. : Et pourtant, c’est un classique qui ne perd pas de son actualité ! Mon pianiste préféré est David Fray, j’adore son interprétation de Bach. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que la musique classique structure bien l’eau. Et vu que nous sommes nous-mêmes constitués d’eau, la musique influe sur la structure de nos cellules. C’est une garantie d’harmonisation de l’organisme dans son ensemble, du travail de tous les organes et systèmes – et je vous parle en médecin, là ! [Svetlana Sourganova est diplômée de l’Université pédiatrique de Saint-Pétersbourg mais n’a jamais pratiqué, ndlr.] J’aime aussi Sergueï Kouriokhine et Ennio Morricone. Mais personne ne surpasse Space !

« Je crois dans notre pays »

LCDR : Vous avez dit un jour que vous ne partiriez jamais de Russie.

S.S. : Et je le redis.

LCDR : Beaucoup de Russes sont partis à l’étranger et continuent de partir…

S.S. : Je ne sais pas si c’est lié à ma nostalgie, mon inertie ou des racines émotionnelles profondes, mais j’aime ce pays et je lui suis reconnaissante. Je respecte la Russie avec son potentiel, ses ressources intellectuelles et naturelles. Simplement, chez nous, tout est un peu souillé, un peu relâché. Il manque à notre pays une gestion intelligente et honnête. Il faudrait, au pouvoir, des gens nobles, généreux, qui aiment leur État. Si le président traitait chaque ville et région comme ses propres enfants, tout irait bien. Je crois dans notre pays.

LCDR : Que pourriez-vous faire, personnellement, pour améliorer la situation ?

S.S. : Ne pas oublier que la pensée est une chose matérielle. Il ne faut pas se laisser aller et devenir un zombie, il faut travailler sur son espace informationnel et émotionnel. Achetez les 48 films sur la musique du critique Mikhaïl Kazinik et regardez-les, montrez-les à vos enfants. C’est un des plus grands pédagogues de notre époque. Je l’adore.

Le sentiment de notre propre dignité détermine beaucoup de choses. Il faut développer en soi le respect de l’autre, la capacité à interagir, à trouver des compromis. Les Russes ont un sens du sacrifice extrêmement développé – c’est vraiment très important.

LCDR : Vous considérez-vous russe ?

S.S. : Je pense que oui. Et un peu géorgienne – j’ai un tempérament ardent. J’aime les montagnes, et puis l’hospitalité des Géorgiens, et aussi leur rapport aux enfants, la façon dont ils honorent les vieux, leurs parents.

LCDR : Les racines, est-ce vraiment important ?

S.S. : Les racines existent de toute façon, et de là, vous pouvez élargir votre conscience, cultiver votre couronne, comme un arbre, et finir ainsi par englober le monde entier. Personne ne vous en empêche. J’ai beaucoup d’amis qui sont d’authentiques cosmopolites, ils peuvent vivre à Paris ou dans n’importe quelle ville du monde. Ces gens me forgent, me construisent, et je suis prête à me construire jusqu’à mon dernier souffle. Heureux celui qui éprouve jusqu’à la fin le désir de se développer. Et la mission de l’État est de soutenir cette possibilité et ce désir de n’importe quel membre de la société. C’est là, sans doute, l’essentiel.

LCDR : Vous avez un lien très fort avec Saint-Pétersbourg. Pourriez-vous imaginer votre vie ailleurs, dans une autre ville de Russie ?

S.S. : Saint-Pétersbourg me manque terriblement dès que je n’y suis pas, et au bout du troisième jour ailleurs, j’ai très envie de revenir. C’est une partie intégrante de moi, c’est ma ville. Ici, je suis tombée amoureuse pour la première fois, j’ai commencé à écrire des chansons et j’ai enterré mes amis les plus proches. Cette ville est la source de mon inspiration, elle est mon passé et mon présent.

« Saint-Pétersbourg, c’est une ville de coupe subtile »

LCDR : Le Pétersbourg de votre enfance, c’est quoi ?

S.S. : C’est Léningrad. Mon premier souvenir, c’est un cheval, sur l’avenue Souvorovski. J’ai trois ans, je me promène avec maman, et là, je tombe sur un cheval, qui me surplombe de toute sa hauteur. Une seconde plus tard, ma mère me cherchait dans toutes les cours : j’avais eu tellement peur que je m’étais enfuie au premier tournant. J’avais l’impression que ce cheval allait obligatoirement me mordre.

Nous nous promenions beaucoup, avec ma mère, et elle attirait toujours mon attention sur des choses étonnantes. Je me souviens précisément des gueules de lions sculptés dans une cour. Ça m’a certainement aidée, par la suite, à être attentive dans la vie. Pour moi, le charme de l’existence est précisément dans ces petites choses, dans les détails. Tout est important.

Ma mère travaillait à l’Institut de culture végétale et, toute sa vie, elle a mis au point de nouvelles semences de blé résistantes au climat. Il y a là un paradoxe intéressant, d’ailleurs : on m’a découvert une intolérance au gluten, je suis aujourd’hui un régime sans gluten, et ma mère, toute sa vie, s’est occupée de blé. Elle essayait toujours de me nourrir de pain. Et sans savoir que j’avais cette particularité, j’ai développé un cancer du côlon sigmoïde. Mais aujourd’hui, tout va bien. Et donc, maman m’amenait souvent à Strelnya, où se trouvaient leurs parcelles expérimentales, et nous allions dans les champs de blé. Je courais après les moineaux, ils mangeaient le blé, il fallait les chasser, je travaillais comme épouvantail, en fait ! C’est à cette époque que j’ai appris à siffler fort, comme le Rossignol-Brigand.

LCDR : Vous n’avez jamais eu froid, à Saint-Pétersbourg ? C’est une ville très fraîche.

S.S. : Couvrez-vous en fonction du temps, et tout ira bien. Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des vêtements inadaptés. Saint-Pétersbourg est une ville de coupe subtile, sans effets spéciaux bon marché.

LCDR : Vous l’avez toujours aimée ?

S.S. : Bien sûr. Léningrad, c’est un de mes plus proches parents. Et j’aime beaucoup Pierre Ier : c’était un monarque et un homme d’État immense. Il a su faire beaucoup de ses propres mains et n’a jamais eu peur d’apprendre des choses nouvelles, à tout âge.

LCDR : Quelle est votre période préférée, dans l’Histoire ?

S.S. : L’époque contemporaine. Notamment, je ne m’imagine absolument pas comment les femmes faisaient, autrefois, sans toutes les ressources hygiéniques actuelles.

LCDR : Dans beaucoup de pays, elles font sans encore aujourd’hui !

S.S. : C’est un grand bonheur pour moi d’être née précisément à cette période-ci. J’ai un odorat extrêmement développé, les odeurs ont beaucoup de signification pour moi. La saleté me tue – tous nos bas-côtés, nos halls d’immeubles… Je souhaite de tout mon cœur que notre pays se dote d’une culture de la propreté.

« Je suis heureuse qu’on ait enfin interdit de fumer dans les lieux publics en Russie »

LCDR : L’odeur de Saint-Pét’, c’est quoi ?

S.S. : Les appartements communautaires, aujourd’hui encore. J’ai grandi dans une kommounalka de 72 m2 : il y avait quatre chambres, 12 habitants, des chiens, des chats et des hordes de cafards. Tout le monde fumait dans la cuisine. La salle de bain aussi était dans la cuisine. Quand tous les habitants s’y retrouvaient pour discuter, la pièce était totalement enfumée, on ne voyait plus rien. Résultat, aujourd’hui, je ne supporte pas la fumée. Je suis heureuse qu’on ait enfin interdit de fumer dans les lieux publics en Russie. Avant, je ne pouvais aller dans aucun bar, j’étouffais.

Parmi les odeurs agréables, il y a celle du pain frais, qui m’était interdit. Et aussi quand le lilas commençait à fleurir sur le Champ de Mars – le printemps, le lilas parfumé et abondant, et l’air léger, frais, presque croustillant…

En bref

Svetlana Sourganova, née à Léningrad le 14 novembre 1968, a été élevée par une mère adoptive, Lia Sourganova, docteur en biologie. Enfant, Svetlana a étudié le violon.

Elle a commencé à écrire des chansons à l’âge de 14 ans. Elle a ensuite suivi des études en médecine et obtenu en 1995 un diplôme de pédiatrie, discipline qu’elle n’a jamais pratiquée.Le 19 août 1993, Svetlana, âgée de 25 ans, rencontre sa future compagne, Diana Arbenina, 20 ans, qui passe ses vacances à Saint-Pétersbourg.

Trois mois plus tard, Svetlana rejoint Diana à Magadan, dans le nord de l’Extrême-Orient russe. Elles y fondent ensemble le groupe de musique Notchnye Snipery (« Les snipers nocturnes »). Au printemps 1994, le duo rentre à Saint-Pétersbourg et enchaîne les concerts dans des bars de la ville. En 1996, Svetlana est opérée d’un cancer du colon et se fait poser une stomie.

Lors de cette opération, elle passe par un instant de mort clinique. « Si j’ai survécu, c’est grâce à Diana, qui a pris soin de moi », se souviendra-t-elle plus tard. En 1998, les Notchnye Snipery sortent leur premier album : Une goutte de goudron dans un fût de miel. En 2002, Svetlana Sourganova quitte le groupe et crée son propre collectif, Surganova i Orkestr (« Sourganova et son Orchestre »), tandis que Diana Arbenina reste soliste des Snipers.

Elles entament dès lors des carrières musicales séparées. En 2005, Svetlana subit une seconde opération, qui lui permet de retrouver une digestion normale.En 2016, Surganova i Orkestr compte 11 albums à son actif. Il s’agit d’un des groupes russes qui effectuent le plus de tournées.